mardi 20 octobre 2015

Rencontre avec ... Jehro

Quelques heures avant son concert donné à la salle Victoire 2 le 9 octobre dernier, Jehro nous accordait un moment privilégié dans les loges...



S. - Jehro vous nous présentez ce soir sur la scène de Victoire 2 « Bohemian Soul Songs » sortie le 22 juin dernier, il arrive 4 ans après ''Cantina Paradise''. Que s'est-il passé durant cette période ?

J. - Après presque deux ans de tournée pour l'album ''Cantina Paradise'' je me suis mis au vert, j'ai pris le temps de m'occuper de ma famille. J'ai besoin d'un certain temps de latence entre chaque album. Retrouver mes proches, voyager, être au calme, faire d'autres choses qui ne sont pas reliées directement à la musique, c'est ce qui me permet de nourrir mon inspiration.
La matrice industrielle veut qu'on soit productif, qu'on sorte un album tous les deux ans, ce qui n'est pas mon cas, ce n'est pas forcément comme ça que je fonctionne. Apparemment il n'y a pas beaucoup d'artistes qui prennent autant de temps pour écrire un album.


S.- À ce propos, comment se déroule l'écriture d'un album de Jehro ?

Dans un premier temps je travaille seul, dans mon home-studio où j'enregistre des démos, à partir desquelles je vais travailler l'univers, les arrangements et les textes avec les personnes avec qui je collabore. Je fais appel à des potes musiciens qui n’habitent pas loin du village du Haut-Var où je vis, qui viennent parfois me donner des petits coups de main.
Le plus souvent c'est d'abord la musique qui me vient et qui me porte vers les thèmes de mes chansons. C'est elle qui me donne une couleur, un contexte et qui me renvoie vers des histoires.
Je coécris ensuite mes textes avec un ami, Paul Breslin, qui est poète et musicien. Une fois que les thèmes sont dessinés c'est une sorte de « ping-pong créatif » entre nous. Il me propose des choses, je dis oui ou je dis non, les textes font plusieurs aller-retour avant d'atteindre leur forme finale.

Bien que je chante en anglais, je n'ai pas la prétention d'avoir une connaissance de la langue qui aille jusqu'à l'écriture poétique. C'est là que Paul m'aide et fait le pont entre mes idées et leur expression. C'est ce qui me permet d'avoir des textes cohérents par rapport aux thèmes et aux histoires dont je veux parler.
C'est intéressant pour moi de travailler comme ça car, pour l'instant, c'est la façon la plus naturelle de fonctionner.


S. - Après avoir rassemblé la matière pour ton album tu es parti enregistrer à Los Angeles sous la houlette de Mitchell Froom… Comment s'est passé votre rencontre ?

J. - Bertrand Langlot, mon Directeur artistique, qui est quelqu'un d'intuitif et de très spontané, connaît bien Mitchell Froom et son travail, et m'a suggéré d'envisager de collaborer avec lui. Il a ensuite organisé notre rencontre. Ça s'est super bien passé, Mitchell a une belle ouverture d'esprit, ça se ressent en étant avec lui. Bien que n'étant pas des mêmes univers, on s'est très vite compris. Il est ouvert sur beaucoup de choses, c'est quelqu'un qui est au service de la musique au sens noble du terme. Après notre deuxième rencontre je savais que cet album se ferait avec lui.



S. – Quelle est la démarche qui t'as conduit à collaborer avec un producteur ?

J. - Après ''Cantina Paradise'' qui avait été quasiment autoproduit, mis à part le mix réalisé par Alf,
j'avais besoin de me mettre entre les mains d'un réalisateur-artiste qui puisse apporter un point de vue, une confrontation artistique, qui mette en balance l'univers des chansons afin de générer quelque chose de nouveau, de différent de ce que j'avais fait jusqu'à maintenant.
Mitchell a apporté un coté plus orchestré et plus épuré à la fois.
On s'est concentré sur la matière émotionnelle, ce qui donne une grande intensité à cet album.


S. – Depuis sa sortie l’album recueille beaucoup de bonnes critiques. Comment se passe la tournée ?

J. - On a commencé la tournée avec quelques dates dans des événements pour des causes qui me tiennent à cœur (notamment Alternatiba & SOS Racisme à Paris) puis le début de la tournée, le 29 septembre, où il y avait cette ambiance de retrouvailles. Lorsque les gens viennent pour t'écouter c'est très chaleureux, il y a toujours cette énergie positive. S'il y a un outil qui est bon pour provoquer ce genre de moment, c'est la musique.


S. - Quel est la prochaine étape ?

J. – Il y aura sûrement la suite de la tournée à l'étranger l'année prochaine, puis je pense à faire des collaborations. Ouvrir mon univers, écrire pour d'autres, ça m'intéresserait. Jusqu'à maintenant j'ai toujours eu une démarche d'auteur-compositeur perdu dans la cambrousse, qui écrit ses chansons de son côté. J'aimerais un peu plus partager cet aspect-là.


S. - Afin d’un peu mieux vous connaître, je vous propose de passer à l’interview « Premier-e... »

S. - Ton premier vinyl ?

J. - Le premier que j'ai acheté, ça devait être « Rapper's Delight » de Sugarhill Gang.
Sinon le premier que j'ai eu en étant môme, du moins que je me souvienne, c'était un disque de Léo Ferré, « C'est Extra », puisait dans la discothèque familiale. Mon père (chanteur et musicien) était plutôt rive gauche, mes parents écoutaient pas mal de chansons françaises.


S. - Ton premier concert ?

J. - Nina Hagen dans une boîte de nuit qui faisait des concerts, le « Krypton » à Aix-en-Provence. Je devais avoir 18 ans, je me souviens d'elle sur scène en robe de mariée, complètement déjantée.


S. - Ton premier instrument ?

J. - Un mini synthé Casio CZ ou quelque chose comme ça, t'avais tous les accords, avec une touche avec les accords de septième, ainsi de suite, je m'amusais comme un petit fou !
Après j'ai eu une guitare, à partir de là j'ai vraiment trippé sur la guitare, mais le tout premier c'était le petit Casio…

S. - D'où ta première compo' ?

J. - Dès que j'ai commencé à toucher des instruments de musique ça a déclenché le coté créatif et ludique. Je pouvais rester des heures à faire n'importe quoi. Ça m'est toujours resté, ce côté personnel avec les instruments de musique qui t'ouvrent une sorte de terrain de jeu intérieur où on peut faire plein de trucs. A l'époque je devais avoir 14-15 ans, je ne voyais pas le temps passer. Ma mère et ma sœur par contre n'en pouvaient plus !


S. - Ton premier groupe de musique ?

J. - C'était un groupe de Rythm n' Blues, ça s'appelait ''Take it easy''. On jouait dans les bars à Marseille, on faisait des reprises de James Brown, Blues Brothers, Marvin Gaye, Otis Redding, Wilson Picket.


S. - Premier voyage ?

J. - L’Angleterre à 19 ans, c'était la découverte ! L'émancipation, je partais de chez mes parents, c'était la débrouille aussi, mes parents n'étaient pas très riche donc j'avais des petits boulot par-ci par-là. Ça a été une source inépuisable pour plein de trucs, il se passe toujours quelque chose. Les soirées londoniennes avec des concerts dans des pubs où les groupes avaient un niveau créatif très fort. Je ne sais pas si c'est toujours le cas aujourd'hui, en tout cas à l'époque la barre était placé très haut.


S. - Ton premier album solo ?

J. - C'était un album en français, « L'arbre et le Fruit » sorti en '99, que j'avais écrit et composé qui avait été arrangé par Franck Eulry. Première expérience douloureuse avec le « bizness » de la musique. Je le trouvais trop formaté, ça ne me convenait pas au niveau de la forme musicale, j'ai eu un peu de mal à assumer le projet. J'ai refait un album français par la suite, qui lui n'est jamais sorti.
Ça a coûté beaucoup d'argent à la maison de disques qui deux mois avant la sortie a décidé de ne pas le sortir. Ça m'avait complètement vacciné du milieu du show-biz et de l'industrie du disque et coupé l'envie de fréquenter ce milieu.
Après quoi je suis parti vivre à la campagne et quelqu'un est venu me chercher pour faire des chansons pour un projet rock-pop-électro qui s'appelait « The Marathonians » (avec Richard Minier & Christian Brun). Je faisais des voix avec eux sur les morceaux qu'ils avaient écrits.
Après avoir signé avec une maison de disques ils m'ont rappelé pour que j'écrive la moitié des musiques et des textes avec eux pour leur album. C'était une très bonne expérience, on s'est beaucoup amusé, c'était vraiment ma façon de voir la musique.
Quelques temps plus tard Richard est revenu me voir en me disant qu'il aimait vraiment ce qu'on avait fait ensemble et qu'il tenait à produire un projet avec moi.
Malgré mes réticences il a su me convaincre en m'assurant qu'il s'occupait de tout, qu'il produisait l'album et que je n'avais pas à m'inquiéter…

S. - Et là, premier succès ?

J. - Ça a cartonné, tout de suite !
Alors qu'en 2005, personne ne voulait signer ce projet, les maisons de disques et les labels trouvaient ça un peu trop « Auberge Espagnole », je chantais en anglais, en espagnol, il y avait un petit peu de portugais aussi...Ils nous disaient ''c'est bien, mais je ne signerais pas ça »…
On a été signé par un tout petit label et ce qui était marrant c'est qu'on a fait une maquette avec Richard, le texte n'était même pas fini, le mec était emballé, il l'a directement envoyé à Radio Nova qui a commencé à la diffuser tel quelle et à partir de là, la machine était lancé.
Tout ça m'a conforté dans l'idée que lorsque les choses ne sont pas calculées, sont faites un peu au hasard, elles ont un impact bien plus résonnant. Ça restera une belle leçon pour moi.

S. pour Victoire 2