Quelques heures avant son concert donné à la salle Victoire 2 le 9 octobre dernier, Jehro nous accordait un moment privilégié dans les loges...
S. - Jehro vous nous
présentez ce soir sur la scène de Victoire 2 « Bohemian Soul
Songs » sortie le 22 juin dernier, il arrive 4 ans après
''Cantina Paradise''. Que s'est-il passé durant cette période ?
J. - Après presque deux
ans de tournée pour l'album ''Cantina Paradise'' je me suis mis au
vert, j'ai pris le temps de m'occuper de ma famille. J'ai besoin d'un
certain temps de latence entre chaque album. Retrouver mes proches,
voyager, être au calme, faire d'autres choses qui ne sont pas
reliées directement à la musique, c'est ce qui me permet de nourrir
mon inspiration.
La matrice industrielle
veut qu'on soit productif, qu'on sorte un album tous les deux ans, ce
qui n'est pas mon cas, ce n'est pas forcément comme ça que
je fonctionne. Apparemment il n'y a pas beaucoup d'artistes qui
prennent autant de temps pour écrire un album.
S.- À ce propos, comment
se déroule l'écriture d'un album de Jehro ?
Dans un premier temps je
travaille seul, dans mon home-studio où j'enregistre des démos, à
partir desquelles je vais travailler l'univers, les arrangements et
les textes avec les personnes avec qui je collabore. Je fais appel à
des potes musiciens qui n’habitent pas loin du village du Haut-Var
où je vis, qui viennent parfois me donner des petits coups de main.
Le plus souvent c'est
d'abord la musique qui me vient et qui me porte vers les thèmes de
mes chansons. C'est elle qui me donne une couleur, un contexte et qui
me renvoie vers des histoires.
Je coécris ensuite mes
textes avec un ami, Paul Breslin, qui est poète et musicien. Une
fois que les thèmes sont dessinés c'est une sorte de « ping-pong
créatif » entre nous. Il me propose des choses, je dis oui ou
je dis non, les textes font plusieurs aller-retour avant d'atteindre
leur forme finale.
Bien que je chante en
anglais, je n'ai pas la prétention d'avoir une connaissance de la
langue qui aille jusqu'à l'écriture poétique. C'est là que Paul
m'aide et fait le pont entre mes idées et leur expression. C'est ce
qui me permet d'avoir des textes cohérents par rapport aux thèmes
et aux histoires dont je veux parler.
C'est intéressant pour
moi de travailler comme ça car, pour l'instant, c'est la façon la
plus naturelle de fonctionner.
S. - Après avoir
rassemblé la matière pour ton album tu es parti enregistrer
à Los Angeles sous la houlette de Mitchell Froom… Comment s'est
passé votre rencontre ?
J. - Bertrand Langlot,
mon Directeur artistique, qui est quelqu'un d'intuitif et de
très spontané, connaît bien Mitchell Froom et son travail, et m'a
suggéré d'envisager de collaborer avec lui. Il a ensuite organisé
notre rencontre. Ça s'est super bien passé, Mitchell a une belle
ouverture d'esprit, ça se ressent en étant avec lui. Bien que
n'étant pas des mêmes univers, on s'est très vite compris. Il est
ouvert sur beaucoup de choses, c'est quelqu'un qui est au service de
la musique au sens noble du terme. Après notre deuxième
rencontre je savais que cet album se ferait avec lui.
S. – Quelle est la démarche qui t'as conduit à collaborer avec
un producteur ?
J. - Après ''Cantina
Paradise'' qui avait été quasiment autoproduit, mis à part le mix
réalisé par Alf,
j'avais besoin de me mettre entre les mains d'un réalisateur-artiste qui puisse apporter un point de vue, une confrontation artistique, qui mette en balance l'univers des chansons afin de générer quelque chose de nouveau, de différent de ce que j'avais fait jusqu'à maintenant.
j'avais besoin de me mettre entre les mains d'un réalisateur-artiste qui puisse apporter un point de vue, une confrontation artistique, qui mette en balance l'univers des chansons afin de générer quelque chose de nouveau, de différent de ce que j'avais fait jusqu'à maintenant.
Mitchell a apporté un
coté plus orchestré et plus épuré à la fois.
On s'est concentré sur
la matière émotionnelle, ce qui donne une grande intensité à cet
album.
S. – Depuis sa sortie
l’album recueille beaucoup de bonnes critiques. Comment se passe la
tournée ?
J. - On a commencé la
tournée avec quelques dates dans des événements pour des causes
qui me tiennent à cœur (notamment Alternatiba & SOS Racisme à
Paris) puis le début de la tournée, le 29 septembre, où il y avait
cette ambiance de retrouvailles. Lorsque les gens viennent pour
t'écouter c'est très chaleureux, il y a toujours cette énergie
positive. S'il y a un outil qui est bon pour provoquer ce genre de
moment, c'est la musique.
S. - Quel est la
prochaine étape ?
J. – Il y aura sûrement
la suite de la tournée à l'étranger l'année prochaine, puis je
pense à faire des collaborations. Ouvrir mon univers, écrire pour
d'autres, ça m'intéresserait. Jusqu'à maintenant j'ai toujours eu
une démarche d'auteur-compositeur perdu dans la cambrousse, qui
écrit ses chansons de son côté. J'aimerais un peu plus partager
cet aspect-là.
S. - Afin d’un peu mieux vous
connaître, je vous propose de passer à l’interview
« Premier-e... »
S. - Ton premier vinyl ?
J. - Le premier que j'ai acheté, ça
devait être « Rapper's Delight » de Sugarhill Gang.
Sinon le premier que j'ai eu en étant
môme, du moins que je me souvienne, c'était un disque de Léo
Ferré, « C'est Extra », puisait dans la discothèque
familiale. Mon père (chanteur et musicien) était plutôt rive
gauche, mes parents écoutaient pas mal de chansons françaises.
S. - Ton premier concert ?
J. - Nina Hagen dans une boîte de nuit
qui faisait des concerts, le « Krypton » à
Aix-en-Provence. Je devais avoir 18 ans, je me souviens d'elle sur
scène en robe de mariée, complètement déjantée.
S. - Ton premier instrument ?
J. - Un mini synthé Casio CZ ou
quelque chose comme ça, t'avais tous les accords, avec une touche
avec les accords de septième, ainsi de suite, je m'amusais comme un
petit fou !
Après j'ai eu une guitare, à partir
de là j'ai vraiment trippé sur la guitare, mais le tout premier
c'était le petit Casio…
S. - D'où ta première compo' ?
J. - Dès que j'ai commencé à toucher
des instruments de musique ça a déclenché le coté créatif et
ludique. Je pouvais rester des heures à faire n'importe quoi. Ça
m'est toujours resté, ce côté personnel avec les instruments de
musique qui t'ouvrent une sorte de terrain de jeu intérieur où on
peut faire plein de trucs. A l'époque je devais avoir 14-15 ans, je
ne voyais pas le temps passer. Ma mère et ma sœur par contre n'en
pouvaient plus !
S. - Ton premier groupe de musique ?
J. - C'était un groupe de Rythm n'
Blues, ça s'appelait ''Take it easy''. On jouait dans les bars à
Marseille, on faisait des reprises de James Brown, Blues Brothers,
Marvin Gaye, Otis Redding, Wilson Picket.
S. - Premier voyage ?
J. - L’Angleterre à 19 ans, c'était
la découverte ! L'émancipation, je partais de chez mes
parents, c'était la débrouille aussi, mes parents n'étaient pas
très riche donc j'avais des petits boulot par-ci par-là. Ça a été
une source inépuisable pour plein de trucs, il se passe toujours
quelque chose. Les soirées londoniennes avec des concerts dans des
pubs où les groupes avaient un niveau créatif très fort. Je ne
sais pas si c'est toujours le cas aujourd'hui, en tout cas à
l'époque la barre était placé très haut.
S. - Ton premier album solo ?
J. - C'était un album en français,
« L'arbre et le Fruit » sorti en '99, que j'avais écrit
et composé qui avait été arrangé par Franck Eulry. Première
expérience douloureuse avec le « bizness » de la
musique. Je le trouvais trop formaté, ça ne me convenait pas au
niveau de la forme musicale, j'ai eu un peu de mal à assumer le
projet. J'ai refait un album français par la suite, qui lui n'est
jamais sorti.
Ça a coûté beaucoup d'argent à la
maison de disques qui deux mois avant la sortie a décidé de ne pas
le sortir. Ça m'avait complètement vacciné du milieu du show-biz
et de l'industrie du disque et coupé l'envie de fréquenter ce
milieu.
Après quoi je suis parti vivre à la
campagne et quelqu'un est venu me chercher pour faire des chansons
pour un projet rock-pop-électro qui s'appelait « The
Marathonians » (avec Richard Minier & Christian Brun). Je
faisais des voix avec eux sur les morceaux qu'ils avaient écrits.
Après avoir signé avec une maison de
disques ils m'ont rappelé pour que j'écrive la moitié des musiques
et des textes avec eux pour leur album. C'était une très bonne
expérience, on s'est beaucoup amusé, c'était vraiment ma façon de
voir la musique.
Quelques temps plus tard Richard est
revenu me voir en me disant qu'il aimait vraiment ce qu'on avait fait
ensemble et qu'il tenait à produire un projet avec moi.
Malgré mes réticences il a su me
convaincre en m'assurant qu'il s'occupait de tout, qu'il produisait
l'album et que je n'avais pas à m'inquiéter…
S. - Et là, premier succès ?
J. - Ça a cartonné, tout de suite !
Alors qu'en 2005, personne ne voulait
signer ce projet, les maisons de disques et les labels trouvaient ça
un peu trop « Auberge Espagnole », je chantais en
anglais, en espagnol, il y avait un petit peu de portugais
aussi...Ils nous disaient ''c'est bien, mais je ne signerais pas
ça »…
On a été signé par un tout petit
label et ce qui était marrant c'est qu'on a fait une maquette avec
Richard, le texte n'était même pas fini, le mec était emballé, il
l'a directement envoyé à Radio Nova qui a commencé à la diffuser
tel quelle et à partir de là, la machine était lancé.
Tout ça m'a conforté dans l'idée que
lorsque les choses ne sont pas calculées, sont faites un peu au
hasard, elles ont un impact bien plus résonnant. Ça restera une
belle leçon pour moi.
S. pour Victoire 2